LE SAINT AMOUR
André Desjardins
Entrée en matière
D’entrée de jeu, je tiens à avertir le lecteur que le présent texte
traite de l’amour au sens religieux du terme, et ceci du point de vue d’un non-croyant
de la pire (ou de la meilleure …) espèce.
En fait, dans un milieu d’adultes ayant de lourdes déficiences physiques
et caractérisé par la prédominance d’une profonde foi religieuse quoi qu’on en
dise, je m’enorgueillis d’être la fausse note dans cette mélodie du bonheur
divin, le coup de clairon strident dans cette symphonie céleste, que cela
plaise ou non. De toute façon, personne
n’est obligé de me lire et chacun reste libre de garder ses convictions et ses
croyances. J’espère seulement que les
libres penseurs de Radisson et d’ailleurs s’amuseront ferme à la lecture de mes
supposées élucubrations.
Ceci dit, lors d’une discussion avec un gestionnaire très croyant de mes
amis, j’arguais que, selon moi, la source du mal en ce monde des humains de
cette planète-ci est non pas le manque d’amour mais bien plutôt la paresse
intellectuelle. Mon argument était à
l’effet que si ces imbéciles d’humains ne cessent de faire conneries par-dessus
conneries, de s’entretuer allègrement, de montrer de l’incompréhension et de
l’intolérance les uns envers les autres, de sombrer dans l’horreur du fanatisme
délirant, et ainsi de suite, c’est parce qu’ils n’arrivent toujours pas à
vraiment comprendre qu’ils sont tous foncièrement semblables, qu’ils dépendent
tous étroitement les uns des autres, et que le tort qu’ils se font les uns aux
autres par égoïsme, cupidité ou courte vue leur retombe fatalement sur le nez
d’une façon ou d’une autre. Bref ils
laissent encore trop souvent leurs impulsions plutôt que leur raison les
guider, se situant ainsi encore loin de ce que souhaitaient les penseurs du Siècle
du lumières et de ce que les presse maintenant d’atteindre la puissance qu’ils
ont acquise.
Comme toute réponse à mes arguments, mon ami le gestionnaire me
dit : «Tu te compliques la vie j’trouve». He oui mon cher gestionnaire, je me complique
la vie, et j’adore cela qui plus est! En
fait, le connaissant bien, je savais pertinemment ce qu’il voulait me dire, à
savoir que, pour rendre compte de la méchanceté et de la bêtise humaines, mieux
vaut évoquer l’œuvre du Malin qui consiste à répandre l’orgueil et la haine
dans les cœurs plutôt que d’intellectualiser à n’en plus finir en cherchant à
comprendre les raisons objectives de ces phénomènes. Moraliser plutôt que raisonner donc.
Les prétendus dangers de la
raison
«La raison est dangereuse» dit le pape Benoit XVI tandis que le cardinal
Marc Ouellette déclare que le diable est très intelligent mais qu’il ne
comprend rien à «la logique de l’amour». L’amour aurait donc une logique! Ha bon, première nouvelle que j’en ai! Bref ces propos révèlent la crainte et même
la haine de l’intelligence, et donc la mise en exergue des «superbes» et de
leur «orgueil», si caractéristiques des religions, monothéistes à tout le
moins. Par ailleurs, un prêtre de mes
amis, très engagé auprès des personnes handicapées, m’avoua que s’il ne se
fiait qu’à sa raison et ne s’appuyait que sur elle, il ne ferait pas tout ce
que la foi le pousse à faire. En ce sens
et dans le cas de cet homme de bien, la raison serait donc bel et bien
dangereuse …
Ce cher cardinal affirme aussi que «les savants sont des géants en
connaissance mais des nains en foi». Voilà
donc le corollaire de cette méfiance, de cette animosité envers l’intelligence
et la raison, soit la sacralisation des «humbles» et des «simples en esprit»,
et donc la valorisation de leur ignorance, de leur innocence, et surtout de
leur «foi du charbonnier». Ce n’est pas
pour rien qu’il est question dans la
Genèse biblique de cet «arbre de la science, du bien et du
mal» qui, par l’intervention de Satan incarné dans un serpent, enleva leur
belle innocence à Adam et Ève … Certains
croyants instruits, pour leur part, se réclament eux de la «foi éclairée», mais
aussi parfois de celle du charbonnier, sans doute en partie par solidarité et
compassion envers ces «petits».
Ce que j’aime par-dessus tout de cet
inénarrable cardinal, un excellent candidat à la papauté selon moi, c’est que
ses propos, clairs et limpides comme de l’eau de source, révèlent sans aucune
ambigüité tout le caractère ultraconservateur et rétrograde de l’idéologie de
l’Église de même que la rigidité absolue de sa doctrine. Et en prime, de présenter ses positions
doctrinales comme la Vérité
avec un grand V sur la Réalité
avec un grand R met à nu, pour qui n’est pas dupe bien sûr, les mécanismes de
ces merveilleuses machines de manipulation et de domination des esprits et des cœurs
que les grandes religions du monde, y compris le Christianisme, ont mises au
point au cours des siècles, sinon des millénaires. Par exemple, suite aux réactions virulentes
provoquées par ses déclarations au sujet de l’avortement et du mariage gay, il
dit, sur le ton de celui en possession tranquille de la vérité : «Certains
sont choqués par mes propos qui ne rapportent que la réalité et parfois la
réalité fait mal. Mais la réalité est la
réalité.». Or il ce trouve que le coup
de provoquer des réactions outrées par des propos aussi choquants qu’insensés
pour ensuite présenter ces réactions comme preuves de la véracité de ses dires,
on me l’a fait une bonne couple de fois dans ma longue vie (65 ans) de
paralytique cérébral sensé avoir tel ou tel problème à cause de son état. J’ai donc depuis longtemps appris à tourner
cela en farce au lieu de m’emporter, quitte à ce qu’on me qualifie de
sarcastique, le sarcasme étant bien entendu sensé caractériser les paralytiques
cérébraux. Alors soit, allons-y pour le
sarcasme, hi hi …
Autres tactiques hypersophistiquées d’emprise sur les consciences, la
culpabilisation face au terrible sacrifice de sa personne auquel le Christ
consentit pour nous sauver en effaçant notre «tache originelle» et donc
l’infinie reconnaissance que nous lui devons pour l’éternité, le jeu étrange de
la carotte et du bâton qui consiste à osciller constamment entre l’amour et la
crainte de Dieu (une relation à la divinité très semblable à celle des enfants
non encore matures à leurs parents), la peur morbide de la damnation éternelle,
la promesse du bonheur éternel comme consolation pour nos souffrances et les
injustices que nous subissons, et j’en passe.
Vraiment, je demeure bouche bée d’admiration devant tant d’ingéniosité.
La religion m’apparaît aussi comme le royaume des oxymores, du genre
«dictature du relativisme» (dénoncée par le pape), «foi et lumière», «dialogue
interconfessionnel» (ou œcuménisme) et autres quadratures du cercle. Abordons donc dans l’ordre ces trois
contradictions dans les termes.
Haro sur le relativisme!
Disons d’abord que le relativisme est à la
religion exactement ce que l’acide chlorhydrique est au zinc. Le relativisme en matière de religions
revient à les placer toutes sur le même pied afin de les comparer les unes aux
autres comme on le ferait pour n’importe quel autre objet d’étude. On en arrive alors assez vite à la conclusion
qu’elles s’équivalent toutes et qu’il n’y a guère de raison d’en adopter une plutôt qu’une
autre. Cette démarche mène donc aisément
à l’agnostisme ou à l’athéisme, bref à la non croyance. Et rien de plus facile que de renverser
l’argument selon lequel elle est réductrice, car de décréter que sa religion à
soi est la plus évoluée, celle qu’on attendait depuis toujours et donc la seule
vraie fait partie de la nature même de la religion. Qui plus est, de la part des chrétiens, cette
affirmation compte depuis des siècles parmi les principales justifications de l’impérialisme
occidental, si bien qu’on peut à juste titre la qualifier d’impérialiste.
Pour en revenir à l’acide chlorhydrique, dans
le cadre du cours de chimie que nous devions suivre en dixième et onzième année
à l’école secondaire de mon quartier, nous faisions quelques expériences de
laboratoire qui illustraient certains phénomènes. Une de ces expériences consistait à plonger
une pièce de zinc dans une éprouvette remplie à moitié d’acide chlorhydrique (HCl). Le liquide, incolore et transparent comme
l’eau, bouillonnait alors furieusement, remplissant presque l’éprouvette de
petites bulles blanches. Et au terme de
cette réaction chimique, on ne voyait plus la moindre trace du métal. Disparu, annihilé, complètement dissout le
zinc. Remplaçons maintenant l’éprouvette
par la conscience d’un croyant, la pièce de zinc par sa foi religieuse plus ou
moins affirmée et l’acide chlorhydrique par le relativisme. Si donc on déverse dans l’éprouvette de la
conscience du sujet où se trouve déjà le métal de sa foi l’acide du
relativisme, après le bouillonnent d’une démarche souvent tourmentée, il y a de
fortes chances que le calme enfin rétabli de la conscience se fonde cette fois
sur la non croyance.
Voilà exactement ce qui m’arriva vers le milieu
de l’adolescence suite à une émission de télé où le bon père Ambroise
Lafortune, une grande vedette à l’époque, expliquait les origines et les bases
mythiques et doctrinales communes au judaïsme, au christianisme et à
l’islam. Le père Ambroise maîtrisait
parfaitement l’art de captiver le téléspectateur, et surtout le jeune
téléspectateur. Cet exposé télévisuel
déclencha donc en moi tout un processus, parfois douloureux et même accompagné
de quelques déchirements, de prise de conscience de l’historicité des
croyances, de leurs liens les unes avec les autres, et de leur organisation en
systèmes qui au fond se valent entre eux en remplissant les mêmes fonctions
sociales parfaitement identifiables (de maintien de l’ordre en place sous couvert
d’un grand idéalisme). Bref le caractère
tout ce qu’il y a de plus humain plutôt divin de ces croyances, et donc leur
relativité tant entre elles que par rapport aux vérités qu’elles prétendent révéler,
finit par m’éclater à la figure au bout d’un certain temps. Mais tenant compte des souffrances et
ruptures, de même que des joies et satisfactions qu’il m’apporta, ce processus
aboutit pour moi à une véritable libération.
Car à vrai dire, toutes ces histoires à dormir debout, ces simagrées
cérémoniaux, ces prescriptions aberrantes et ces œuvres de culpabilisation
avaient toujours violé mon sens de la logique et de la cohérence ainsi que
réprimé mon désir de liberté de pensée et de conscience.
Ce brave père Ambroise ne voulait certainement pas déclencher un tel
processus, pouvant produire le résultat que l’on sait, chez les téléspectateurs. Il visait plutôt, à n’en pas douter, à
encourager chez eux l’esprit d’ouverture et de tolérance envers d’autres
croyances religieuses que les leurs. Mais
je parierais fort que je ne fus pas le seul d’entre eux, surtout parmi les
jeunes à l’esprit encore souple, à prendre cette direction. Fait à noter, j’appris plus tard que ce
religieux défroqua et prit femme. De
toute façon, la «dictature du relativisme» est une absurdité totale vu que le
relativisme, le contraire de l’absolutisme selon toute logique, compte parmi
les conditions sine qua non de la démocratie.
Illogismes, incohérences et autres
contradictions
La «foi éclairée», quant à elle, n’est pour moi qu’une fumisterie
puisque la lumière vient toujours du savoir et jamais du croire. Certains théologiens dits progressistes ou
d’avant-garde font des efforts louables pour démontrer que foi et science, ou croire
et savoir, ne sont pas incompatibles mais au contraire se complètent. Mais Maurice Zoundel, l’un des plus célèbres
parmi eux, conclut quand-même un de ses ouvrages en avouant que, au fond, les
révélations ou vérités (prétendues telles à tout le moins …) de la foi, on y
croit ou on n’y croit pas, et même qu’il vaut la peine d’oser la folie d’y
croire. Il avance même que les diverses
croyances qui se rattachent à la foi religieuse servent à la meubler pour
qu’elle ne soit pas purement abstraite, comme on meuble une maison pour en
combler le vide. Autant avouer alors que
la foi apaise l’affect en l’inondant de la douce lumière des «vérités révélées»
(l’opium du peuple disait Carl Marx), lui assurant ainsi le confort psychique
des certitudes absolues, beaucoup plus qu’elle n’éclaire l’intellect de la
lumière crue de la connaissance objective.
Et le terme «foi et lumière», nom d’un organisme qui notamment, mais pas
uniquement, accomplit un travail admirable auprès de personnes déficientes
intellectuelles, se comprendrait en ce sens.
Pour ce qui est enfin de l’œcuménisme ou «dialogue interconfessionnel»,
comment donc deux doctrines religieuses dont chacune s’estime en possession de la Vérité révélée par Dieu
lui-même pourraient-elles vraiment dialoguer entre elles? Le plus absurde est qu’au fond ce dialogue
devrait s’établir assez aisément puisque le message fondamental de toutes les
grandes religions bien établies et reconnues depuis très longtemps correspond
exactement aux leçons de cette bonne vieille sagesse humaine qui permettent le
vivre ensemble depuis la préhistoire jusqu’à nos jours. «On ne dialogue que lorsqu’on est d’accord sur
l’essentiel», dit le proverbe. Mais en
pratique, chacune de ces religions possède ses mythes fondateurs, ses variantes
doctrinales, sa tradition, ses rites et même ses façons de vivre plus ou moins
imposées aux fidèles, le tout devant participer de cette fameuse Révélation de
vérités immuables de toute éternité et pour toute éternité. En outre, dans ce prétendu dialogue, chacune
a nécessairement, à quelques exceptions près comme celle du Judaïsme réservé au
seul peuple élu, des visées prosélytes plus ou moins avouées et cachées puisque
tous les humains devront forcément partager un jour sa Vérité.
De toute façon, dans les croyances religieuses, des illogismes et des
incohérences, en voulez-vous, en voilà!
«Dieu pardonne, le Diable juge.», me dit un jour par exemple mon ami le
prêtre. Bon très bien, mais qu’en est-il
donc du jugement dernier quand, à la fin des temps, le Christ reviendra pour
juger les vivants et les morts? Le
fera-il alors en partenariat avec Satan (en PPP peut-être ….), laissant à
celui-ci le soin de condamner et de punir les méchants tandis que lui, se
réservant le beau rôle, récompenserait les bons en leur pardonnant leurs petits
écarts? Et ne nous demandons surtout pas
avec qui, dans la Genèse,
Abel et Caïn se sont accouplés pour que les humains puissent se multiplier, vu
qu’il n’est jamais question des filles d’Adam et d’Ève. Avec leur propre mère peut-être? Mais qu’ils se soient reproduits avec leur
mère ou d’hypothétiques sœurs pour ne pas que la race humaine disparaisse dès
le départ, ils durent nécessairement recourir à l’inceste, une pratique
pourtant fermement condamnée par la religion.
Un chauffeur de taxi musulman m’expliqua, lors d’un de mes nombreux déplacements
en transport adapté, que dans le Grand Livre d’Allah, tout est écrit. Autrement
dit, Dieu aurait prévu et même programmé tout ce qui arrive, y inclus tous nos
actes, les bons comme les mauvais, les méritoires comme les condamnables. Je lui répondis tout simplement : «Ah
bon!». Mais je pensai que s’il en était
vraiment ainsi, alors pourquoi donc Dieu nous récompenserait-il pour nos bons
gestes et nous punirait-il pour nos fautes puisque nous n’en serions d’aucune
façon responsables? Car enfin, le mérite
aussi bien que la culpabilité ne peuvent exister sans responsabilité ni libre
arbitre!
Nous trouvons le même illogisme dans certaines versions du
Protestantisme qui postulent que Dieu prédétermine lui-même, pour des raisons
qui ne regardent que lui, qui est sauvé et qui est damné. Par ailleurs, ces religions stipulent que les
élus de Dieu se distinguent des autres par leur caractère industrieux et
économe qui les pousse constamment à produire et à cumuler des richesses en
principe pour le bien de la société et de l’humanité. Ainsi la vie devient-elle un genre de mise en
scène où chacun tente d’adopter de son mieux les comportements et attitudes
caractéristiques des élus afin de bien se convaincre et de convaincre les
autres qu’il ne figure pas dans la liste des damnés. Voilà comment Max Weber, un des fondateurs des
sciences sociales, explique, dans son œuvre maîtresse, L’Éthique protestante et
l’esprit du capitalisme, le succès historique du capitalisme protestant des
pays du nord. Bref, à la lumière crue de
la logique et de la raison, toutes ces balivernes ne tiennent pas debout
voyons!
La religion, une béquille
Mon ami le prêtre trouve aussi que je manque de jugement en diffusant
mes idées et je sais très bien pourquoi me dit-il cela. Je pense que la raison de tels propos réside
dans l’exemple du film Jésus de Montréal de Denys Arcand. Ce film raconte l’histoire fictive d’une
troupe de théâtre montréalaise qui reproduit diverses scènes de la vie de Jésus
de Nazareth en y apportant des explications plus rationnelles que mystiques
disons. Or l’évêque auquel le directeur
de cette troupe, qui joue le rôle de Jésus lors des représentations, doit
demander la permission de jouer sa pièce sur des cites appartenant au diocèse
n’apprécie guère le spectacle en question et le fait clairement savoir à
l’intéressé. L’amenant un jour dans une
église en dehors des heures de fréquentation, il lui demande de quel droit se
permet-il de démystifier ainsi les croyances de ces pauvres gens qui en ont
vraiment besoin pour donner un sens à leur vie de souffrance et de misère. Il lui montre du doigt les confessionnaux en
lui disant que voilà où toutes ces femmes de ménage venant des Philippines, du
Chili et d’ailleurs, qui n’ont pas les moyens de se payer des traitements de
psychanalyse lacanienne, soignent leur mal à l’âme.
Mais moi je trouve que mon ami le prêtre et le personnage de l’évêque
dans le film s’en font pour rien. Car,
je le répète, je ne force personne à me lire, pas plus que le directeur de la
troupe n’oblige qui que ce soit à assister à sa pièce de théâtre. Qui plus est, il y a de fortes chances que la
grande majorité de mes lecteurs à Radisson et ailleurs, tout comme les
spectateurs de Jésus de Montréal, soient des personnes préparées à et désireuses d’aborder le sujet
en question selon l’approche proposée.
Il y a bien sûr le cas de ces personnes déchirées entre leurs besoins
affectifs qui les poussent à croire et leur curiosité qui les portent à
chercher à savoir. Souvent ces gens
tentent plus ou moins désespérément de concilier science et foi, avec les
ambigüités, les évitements et les contradictions, voir même les absurdités, qui
en résultent fatalement. Laissons-les
donc se débattre dans leur tentative de sauvegarder le système de croyances
sur lequel elles fondent leur équilibre
mental tout en flirtant dangereusement avec le titan Prométhée.
À propos justement de l’équilibre mental, et donc des besoins affectifs
des croyants, une des forces de la religion consiste à les combler dans
l’absolu tout en les reliant à une conception et à une explication globale du
monde, de la réalité, de l’univers.
Ainsi Dieu, déclaré maître et créateur de tout ce qui existe, devient-il
le parfait objet d’amour, le fantasme affectif et même libidinal total car il
a, dans l’absolu, toutes les qualités, c’est-à-dire tout l’amour, toute la bonté,
toutes les vertus, toute la connaissance, toute la puissance, toute la gloire,
tous les mérites incluant celui de se sacrifier et de souffrir pour nous. Un de mes amis français, lui aussi très
croyant, me dit un jour que le Dieu horloger ne l’intéresse pas du tout et que
seul compte pour lui le Dieu amour. Il
n’a pas le moindre défaut alors que le Diable lui les a tous, lui aussi dans l’absolu,
et bien sur pas une seule qualité, sauf celle, qui devient par le fait même (et
pas seulement pour lui …) un défaut, d’une très grande intelligence. Or on ne peut vraiment aimer un fantasme, on
ne peut que l’adorer, ce qui n’est pas du tout l’amour selon moi. Puis je m’avoue
totalement incapable d’aimer un être absolument parfait, sans aucune réelle
fragilité et qui choisit même ses souffrances en rédemption de ceux-là même qui
l’offensent, à savoir nous tous sans exception, pas plus que j’arrive à
détester un être totalement improbable qui serait la réalisation parfaite du
mal absolu. En outre, cette parfaite
symétrie Dieu-Diable relève d’un simplisme éhonté, pour ne pas dire qu’elle est
simplette.
À cette conception manichéenne du monde basée sur une irréductible
opposition entre le Bien et le Mal, je préfère de beaucoup celle selon laquelle
la réalité est régie par une perpétuelle complétude entre un principe constructeur
et un principe destructeur assurant le continuel renouvellement du tout. Or il se trouve que cette conception coïncide
parfaitement avec ce que nous apprend l’observation objective de la
réalité. La science nous enseigne en
effet qu’absolument tout dans l’univers, de la plus petite des molécules à l’étoile
la plus massive, en passant par tous les êtres vivants de toutes les planètes
qui peuvent abriter la vie, tout donc se forme, nait, croît, atteint son apogée,
périclite, meurt puis se décompose afin que ses éléments contribuent à la
formation d’autre chose. En outre,
certaines entités se forment presque à la perfection alors que d’autres sont
affligées de diverses malformations, dysfonctions et autres défectuosités, en
plus des avaries infligées par les aléas de l’existence.
La quête du sens
Les humains de cette planète-ci ne sont donc pas les seuls éléments de
l’univers à mener une existence difficile.
Mais parce que cela leur arrive à eux, en même temps qu’ils se prennent
pour les êtres les plus évolués d’une prétendue création, voire même pour la
raison d’être de celle-ci et la seule créature conçue à l’image et à la ressemblance
du Créateur (rien de moins …), ils en font tout un plat. Ainsi éprouvent-ils le besoin impérieux de
donner un sens à la vie, et surtout à la leur avec toutes ses épreuves, notamment
en élaborant à cette fin, au cours des siècles, des systèmes de croyances des
plus sophistiqués que l’on appelle religions.
Mais, comme le disait peu de temps avant sa mort le regretté Pierre
Bourgault, un athée bien assumé, la vie n’a pas de sens. Ou encore elle n’en a qu’un seul, elle
vit. Et la réalité globale dans laquelle
elle s’insère, l’univers autrement dit, n’a elle aussi qu’un seul sens, elle est. Et voilà tout!
Mais qu’est-ce donc au juste que la vie, ou qu’est-ce qui différencie la
matière vivante de la matière morte? La
vie n’est en fait qu’un niveau supérieur d’organisation de la matière que
celle-ci atteint suite à un processus évolutif, s’étendant sur plusieurs
milliards d’années, où ses constituantes se combinent entre elles de façon de plus en plus complexe
jusqu’à former des cellules dites vivantes parce que chacune abrite une
molécule d’acide désoxyribonucléique, l’ADN.
Cette énorme molécule en forme de double hélice constitue pour ainsi
dire le programme informatique, pouvant parfois comporter quelques erreurs, de
développement et de fonctionnement de l’être vivant dont la cellule fait
partie. Est donc vivant toute matière
composée de molécules munies de l’ADN, et voilà levé ce fameux «mystère de la
vie», démystifié ce prétendu «don de Dieu» avec lequel la religion nous
mystifie depuis toujours.
Puis un autre «mystère» résolu par ces vilains démystificateurs que sont
les scientifiques est celui de l’esprit, donc de l’âme humaine dite
immortelle. Notre cerveau, cet
«ordinateur neurophile» (comme le nomme Léo Ferré) qui fonctionne à
l’électricité produite biochimiquement, fruit d’une très longue évolution (très
longue à l’échelle humaine bien sûr …), se constitue de quelques cent milliards
de micropuces électroniques appelées neurones.
Ces merveilles de miniaturisation, ainsi que de puissance de traitement
de l’information, de possibilités de calcul et de capacité de mémoire,
communiquent entre elles par des axones qui se forment et disparaissent au gré
de nos apprentissages, de même que de nos sentiments, émotions et autres états
d’âme. Ainsi nos souvenirs, nos pensées,
notre savoir, nos croyances, nos
sentiments, nos émotions, nos impulsions, notre conscience, en fait tout notre
affect et tout notre intellect, donc l’essence même de notre être n’est-il
biologiquement qu’un réseau extraordinairement complexe et sophistiqué de
connexions où circulent ces particules subatomiques appelées électrons. Or le nombre de ces circuits dans notre boîte
crânienne pourrait possiblement équivaloir au cours d’une vie à celui des
atomes dans l’univers! Voilà donc
pourquoi l’humain est si complexe, si difficile à cerner et pratiquement
insondable.
Pour ce qui est de l’immortalité de l’âme, il va de soit que lorsque la
mort survient, tous ces circuits disparaissent et il n’en reste plus rien, les
électrons qui les constituaient se dispersant dans l’environnement. On me rétorquera que tout cet ensemble formé
de circuits d’électrons et leur support de chair, incluant le corps en entier,
n’est que l’incarnation dans ce monde matériel de cet esprit, de cet être spirituel
qui retourne dans son au-delà lorsque la vie s’éteint. Mais alors la question se pose à savoir quand
donc et où, lors du continuum évolutif des espèces vivantes, ce long et très
graduel processus de transformation allant du plus élémentaire au plus élaboré,
Dieu insuffla-t-il à l’homme son âme immortelle? Était-ce dès Australopithèque dont le cerveau
n’était guère plus gros que celui d’un chimpanzé ou, dans l’ordre croissant du
développement cervical, chez Homo Habilis, Homo Erectus, ou enfin seulement
chez Homo Sapiens? Et dans ce dernier
cas, dans notre cas autrement dit, alors à quel stade de notre développement,
notamment d’Homo Sapiens à Homo Sapiens Sapiens, l’opération divine se
serait-elle accomplie?
Et comme pour compliquer les choses encore plus, il fut un temps où
coexistaient plusieurs races d’humains, contrairement à ce qui en est
maintenant où n’en subsiste plus sur cette planète qu’une seule, soit
nous-mêmes, Sapiens, appelé aussi Hommes de Cro-Magnon, qui acquière
différentes caractéristiques morphologiques selon son adaptation à divers
milieux. Qu’en était-il alors de l’âme
immortelle chez Neandertal, Sinanthrope, l’Homme de Flores et d’autres races
mystérieusement disparues? Dieu les
aurait-il abandonnés ceux-là, et si oui pourquoi donc? Remarquons aussi que la question du moment de
l’apparition de l’âme immortelle se pose dans le processus de développement de
l’embryon humain, de l’entrée en contact du spermatozoïde avec l’ovule jusqu’à
la naissance du bébé, exactement de la même façon que dans le cas du continuum
évolutif de notre espèce, continuum évolutif que le développement de l’embryon
reproduit à l’accéléré soit dit en passant.
Et si, dans un avenir éloigné et à condition qu’ils ne se suppriment pas
eux-mêmes avant comme espèce, les humains d’ici en arrivaient à en fabriquer
d’autres de toutes pièces en laboratoire, et même à mettre au point des
machines dont les capacités dites mentales égaleraient les leurs en incluant la
conscience, Dieu daignerait-il fournir une âme à ces êtres qu’il n’aurait pas
créés, et si oui, alors à quel stade de leur fabrication? Que dire enfin, toujours à propos de l’âme, et
même de la religion, de ces milliards de mondes éparpillés dans le cosmos et
qui, selon toute probabilité, abriteraient la vie et même la vie intelligente,
dont possiblement des êtres encore plus évolués que nous? N’est-ce pas là ce qu’on appelle faire
éclater la problématique?
Mais si, au lieu de persister à fantasmer sur une hypothétique âme
immortelle destinée au bonheur ou au malheur éternel selon son mérite dans
cette vie, nous considérions d’abord la vie, puis l’intelligence et la conscience
qui la caractérisent à partir d’un certain stade de son évolution, comme des niveaux
supérieurs d’organisation de la matière.
Ainsi la conscience serait ce stade de développement où la matière en
arrive à s’interroger sur … elle-même.
Elle accomplirait alors ceci, sur certaines planètes dont la nôtre, au
moyen de formes de vie particulièrement évoluées, dont la nôtre sur cette planète-ci. Tel est d’ailleurs le point de vue qu’expriment
l’astrophysicien Hubert Reeves et même, entre les lignes, Pierre Teilhard de Chardin
Un monstrueux biais
épistémologique
À propos de ma conception du monde, rationaliste, dépourvue
d’affectivité et se situant en dehors de toute foi religieuse, une amie
croyante me dit «c’est sec» et, comme pour me rappeler que je suis quand-même
un humain, «t’es pas un ordinateur». De
même, considérant mon refus de mêler l’affect à ma recherche de la vérité en
adhérant à une foi consolatrice qui me promet bonheur, justice et salut
éternel, cette même amie s’exclame «oui mais tu souffres, tu souffres!». Examinons donc un peu ce que signifient ces
trois affirmations dont chacune révèle un aspect très important du besoin et du
désir de croire en un Dieu aimant qui nous rendra à tous justice en fin de
compte. Je dois d’abord mentionner que
ma chère amie D, appelons-la ainsi, une femme très intelligente et grande
lectrice devant l’Éternel, vit avec la paralysie cérébrale depuis sa naissance,
tout comme moi d’ailleurs. Voilà qui, je
pense, peut grandement aider à la compréhension de ce qui suit.
Si ma chère amie trouve sèche ma conception du monde, notamment en
rapport avec la notion d’infini, c’est que tout simplement celle-ci ne correspond
pas du tout à son besoin et à sa quête d’amour, si légitimes soient-ils par ailleurs.
Or nous savons que, justement, un des plus grands tours de force de la
religion consiste à lier intimement notre désir de connaître la vérité sur la
réalité à nos besoins affectifs les plus profonds. Ainsi une conception du principe explicatif
de tout ce qui est et de tout ce qui advient (de l’univers donc) comme un infini
personnifié en un Dieu qui nous aime et qui nous prête attention à chacun personnellement,
une telle conception donc est infiniment plus rassurante, plus satisfaisante
pour l’affect, que celle d’un principe moteur totalement dépersonnalisé, comme
par exemple le Dieu d’Einstein qui « ne se mêle pas des affaires des hommes
». Or libre à nous de prendre nos désirs
même les plus fous pour la réalité, mais celle-ci n’est quand-même pas obligée
de nous faire plaisir. Et surtout, de
relier nos besoins affectifs à notre conception de la réalité globale constitue
pour moi un monstrueux biais épistémologique dans notre recherche de la vérité.
Pour ce qui est maintenant de son affirmation à l’effet que je ne suis
pas un ordinateur, je rétorque que, bien au contraire, j’en suis un ainsi
qu’elle-même, tous les humains et même une bonne partie des spécimens du règne animal
de cette planète, soit ceux munis d’un système nerveux central appelé
cerveau. Qui plus est, je fais partie de
cette race de grands singes appelée homo sapiens qui, pour ainsi dire, créa
l’ordinateur à l’image et à la ressemblance de celui qu’elle a entre les deux
oreilles et qui continue à le perfectionner pour le rendre de plus en plus
semblable au sien. Ainsi est-il absurde
d’opposer, comme le font certains, la logique machine à la logique humaine
puisque la première découle entièrement de la seconde et que, de toute façon,
la logique, toute aussi universelle que les mathématiques, est ce qu’elle est,
indépendamment de toute autre considération.
Enfin, il est bien évident que je souffre, physiquement surtout. Il s’avère même que mes souffrances physiques
s’accentuent avec l’âge puisqu’elles résultent en bonne partie de toute une
existence d’efforts supplémentaires fournis pour surmonter mes limitations
fonctionnelles. Autrement dit, rendu
maintenant dans la soixantaine, j’ai mal partout. Et si je comprends l’argumentaire de mon
amie, je serais tout naturellement censé croire, avoir la foi, pour trouver un
sens consolateur à ma vie de souffrance.
Or je n’ai jamais vraiment été porté sur les consolations, et tout
particulièrement sur celle de nature spirituelle ou surnaturelle. La connaissance la plus objective possible de
la réalité dont je fais partie m’intéresse infiniment plus que la quête de consolations
spirituelles aux vicissitudes de mon existence et de celle des autres. De plus, je prends bien soin de ne pas
chercher du sens là où il n’y en a pas.
Et comme déjà mentionné, la vie
n’a nul autre sens que celui de vivre.
Voilà autant d’illustrations de cette fonction fondamentale de la
religion qui consiste à combler un immense besoin d’amour et de justice, soit
sa fonction affective. Ma chère amie D
me dit au fond que je devrais croire pour trois raisons selon elle, et selon
des millions de personnes comme elle : parce que j’éprouve des sentiments
et des émotions («c’est sec»), parce que je suis un humain et non pas une
machine («t’es pas un ordinateur») et surtout parce qu’il me faut la
consolation d’un Dieu d’amour qui me réserve un bonheur éternel («mais tu
souffres, tu souffres»). Ainsi
m’illustre-t-elle, sans le savoir, la façon dont la religion procède pour nous
prendre par les sentiments. Or il me
semble évident que cet aspect de la religion touche tout particulièrement les
personnes ayant de sévères déficiences physiques ou autres, avec leur sensibilité
et leur émotivité à fleur de peau.
Chantage à l’amour et
culpabilisation
Comme l’exprime, sur un ton mi agacé mi badin, Pierre Foglia dans une
édition du journal «La Presse»,
la religion utilise couramment l’amour comme argument absolu pour convaincre et
comme arme de domination massive.
L’amour devient ainsi une agression extrême sous des aires de grande
bonté, de divine sérénité et de sainteté.
J’ajouterais même pour ma part que la religion pratique parfois un chantage
à l’amour en pure démagogie. Mon
cardinal préféré (toujours le même …) déclara à la télé que le non-croyant est
celui qui dit «Seigneur, moi, je ne veux rien savoir de toi». Mais comment donc pourrais-je dire une telle
chose à un être dont je ne sais même pas s’il existe ou non et qui, selon toute
vraisemblance, n’existerait que comme créature de l’esprit humain? Or l’humain n’a-t-il pas cette étrange
faculté, dument reconnue en psychologie, de devenir le serviteur, voir même l’esclave,
de ses propres créatures imaginaires. Et
bien entendu ce cher cardinal Ouellette met ici en œuvre cette technique,
perfectionnée à outrance par l’Église depuis deux millénaires, qui consiste à
nous culpabiliser pour notre ingratitude envers Celui qui nous a pourtant
sauvés par son divin sacrifice. «Il m’a
sauvé!», s’exclame le cardinal avec enthousiasme. Mais sauvé de quoi au juste, DE QUOI DONC?
Et soit dit en passant, une religion qui ne parle que d’amour tout en
interdisant la vie de couple à ses clercs me semble pour le moins
suspecte. Pour justifier cet état de
fait, l’Église argue que l’amour charnel, sexuel, n’est pas tout l’amour. De cela, je n’en disconviens nullement. Mais il n’en constitue pas moins un élément
auquel il faut accorder toute son importance sous peine de risquer d’engendrer de
dangereux déséquilibres, comme le démontrent éloquemment tous ces scandales
d’abus sexuels auprès des jeunes dans les internats. Je comprends par ailleurs que le véritable
but de cet interdit de l’amour sexué pour les religieux et les religieuses est
de les inciter à sublimer leurs pulsions libidinales dans leur sacerdoce et
leur mission. Mais ce faisant, il me
semble qu’on joue avec le feu.
Aussi, on ne me fera jamais croire que cette tendance du christianisme à
dévaloriser, sinon à condamner, la chair et ses plaisirs, et surtout ceux de
nature sexuelle, n’est pas foncièrement malsaine. Ce pauvre Épicure fut longtemps présenté comme
un porc, un vicieux qui prônait l’orgie.
«L’esprit est fort mais la chair est faible.», dit-on encore de nos
jours. Mais l’idée peut-être la plus
révélatrice de cet esprit tordu est celle de l’immaculée conception, comme si
l’acte sexuel maculait, donc salissait, la reproduction des humains, la rendant
ainsi indigne de la naissance du fils de Dieu.
N’y aurait-il pas là une manifestation
de la peur de la sexualité féminine.
De l’origine et fonctions de la
religion
Quitte à choquer les croyants sincères, j’affirme ne pas être le seul à
considérer la religion, quelle qu’elle soit, comme «une vaste fumisterie». Mais j’ajoute que, paradoxalement, il s’agit d’une
fumisterie absolument nécessaire au maintien et au fonctionnement des sociétés
et des civilisations terrestres depuis que celles-ci existent. La raison de ceci tient à la façon dont les
sociétés humaines se sont formées dès la préhistoire. Imaginons donc ces humains du paléolithique enfin
devenus exactement semblables à nous, dont le cerveau avait atteint le stade de
développement neuronal qui demeure encore le nôtre aujourd’hui, observant très
attentivement leur milieu et tout ce qui s’y produit afin de mieux s’y adapter
et, autant que faire se peut, en trouver des explications. Or ces hommes de Cro-Magnon, que nous sommes
toujours, devaient pour ce faire se débrouiller avec les moyens du bord car ils
ne possédaient pas encore les instruments d’acquisition de connaissances
objectives dont nous disposons maintenant.
Ainsi nos ancêtres préhistoriques élaborèrent-ils des cosmologies, des
représentations explicatives du monde autrement dit, qui furent les points de départ
des religions qui suivirent et qui s’engendrèrent les unes les autres (dont le
Christianisme) au cours des siècles comme dans une sorte de processus
évolutif. Or l’esprit humain est ainsi
fait qu’il tend tout naturellement, dans ses représentations du monde, à tout
personnifier, à prêter une conscience et une volonté à tout ce qui l’entoure,
comme si l’idée même que la réalité ne consisterait qu’en un mécanisme qui ne
s’inscrirait à l’infini que dans la «logique froide» de la causalité et des
probabilités lui était inacceptable. Ainsi
les humains personnifièrent-ils les .éléments dont ils devaient s’accommoder
afin de pouvoir communiquer avec eux, leur adresser des demandes. Notons que les enfants font de même avec
leurs jouets. Aussi, une expérience en
psychologie démontre que les participants effectuent d’autant plus facilement
des opérations mathématiques que celles-ci portent sur des humains ou des
animaux anthropomorphes plutôt que sur des objets inanimés et a fortiori sur
des entités abstraites. Et quant à
personnifier les forces de l’univers, pourquoi ne pas personnifier celui-ci
dans sa globalité, donc personnifier l’infini en lui donnant un nom, le nom de
Dieu. Voilà ce que le biologiste Céril Baril,
président des Sceptiques du Québec, appelle La grande illusion, titre d’un de
ses ouvrages.
Puis avec la révolution agricole il y a dix à douze milles ans, ce
passage du paléolithique des chasseurs-cueilleurs nomades au néolithique des
éleveurs-agriculteurs-sédentaires, qui permit la naissance des civilisations, se
fixèrent graduellement ce qu’on appelle en anthropologie les récits et les
mythes (ou récits mythiques) fondateurs des civilisations et des sociétés. Les diverses religions qui apparurent alors organisèrent
ces récits mythiques en systèmes intégrés de croyances qui, tout à la fois,
expliquent les origines, la marche et la destinée du monde et de l’humanité, indiquent
la place et le statut des humains dans ce monde, en plus de leur indiquer
comment vivre et ce comporter pour plaire aux divinités ou au Créateur. Elles comptent ainsi parmi les piliers de ces
civilisations et sociétés, au côté de l’État et du système d’échange, en en formant
l’essentiel de leurs systèmes de valeurs.
Notons que de ce fait, elles apportent aux classes dominantes le
merveilleux cadeau de l’approbation divine de leur pouvoir («rendez donc à César
ce qui est à César … »), quitte à les inciter à la générosité et à la
modération dans l’exercice de celui-ci, alors que les pauvres gens se voient
miroiter une promesse de salut s’ils résistent à la tentation de la révolte
(«les derniers seront les premiers et les premiers seront les derniers»). Ainsi les adeptes de la théologie de la
libération (certains disent même théologie de la révolution), désapprouvée par
les papes, me semblent-ils bien naïfs car il n’est pas dans la nature de
l’institution religieuse d’aller dans ce sens.
À une femme sans grande instruction qui s’était occupée de moi au Camp
Papillon lorsque j’avais six ans et elle quinze ans, que je revis quarante ans
plus tard, je demandai à quoi sert la religion selon elle. Or la brave dame me répondit très
spontanément, sans la moindre hésitation, que « ça sert à faire tenir le
monde tranquille ».
Vivre en toute lucidité
Pour ma part, j’ai choisi depuis longtemps de vivre dans la pleine
conscience de cette mécanique, de cette programmation sociale que je m’efforce
de toujours mieux connaître et comprendre.
Pour faire une allégorie, c’est comme si je conduisais le véhicule de
mon existence dont le capot transparent me permettrait d’en voir à tout moment
fonctionner le moteur. La célèbre
animatrice Lise Payette parla un jour à la télé de sa grand-mère maternelle,
une femme supérieurement intelligente qui eut une influence déterminante sur sa
vie affirmait-elle. Cette grand-mère
donc, ayant discerné chez sa petite-fille une grande intelligence, l’entretenait
de divers sujets dont celui de la religion.
Concernant ce dernier sujet, elle lui recommanda d’en bien assimiler les
croyances, les conceptions du monde et des hommes de même que les rites, ceci
afin de s’éviter nombre de problèmes. Mais
en même temps, elle lui conseilla de n’en rien intégrer, c’est-à-dire de n’en
rien croire du tout en son for intérieur.
Voilà de bien sages conseils que je me suis donnés à moi-même et que je
m’applique à suivre depuis belle lurette.
Cette
lucidité, d’ailleurs chèrement acquise croyez-moi, m’oblige à noter, entre bien
d’autres choses, une nette différence dans le message que les religions
transmettent aux fidèles selon qu’elles se trouvent en position de force ou de
faiblesse, et aussi selon l’état d’esprit prédominant dans une conjoncture
donnée. Par exemple, au temps lointain
de mon enfance, dans cette sainte province de Québec où l’Église exerçait une
très grande influence et où les églises s’emplissaient à pleine capacité chaque
dimanche, le curé, du haut de la chaire, invectivait les fidèles et les
menaçait de brûler éternellement en enfer s’ils persistaient dans leurs
vices. Il les sommait d’éviter de s’attirer
la colère de Dieu en ne respectant pas sa volonté. Pour ce qui est des personnes handicapées,
les religieux, et surtout les religieuses, allaient jusqu’à leur dire que Dieu
leur envoie cette épreuve, leurs déficiences, parce qu’il les aime car il leur
donne ainsi l’occasion d’assurer leur salut et même de participer à la
rédemption des péchés du monde.
Mais de
nos jours, toujours au Québec, où les gens sont plus instruits, plus sceptiques
et plus critiques qu’avant, et où les églises demeurent désespérément vides, un
tout autre discours prédomine. Ce
discours insiste plutôt ces temps-ci sur l’amour que nous porte le «tendre Seigneur». Il cherche plus à nous charmer et à nous
encourager à suivre le bon chemin qu’à nous culpabiliser et à nous faire peur. Aussi, alors qu’avant on rapportait tout à la
volonté de Dieu, quitte à exprimer sa totale incompréhension face à un
évènement comme la naissance d’un enfant affligé d’une déficience sévère, on ne
le crédite maintenant que de ce qui arrive de bien. Ainsi mon ami le prêtre nous jure-t-il de
tout son grand Dieu que celui-ci n’y est pour absolument rien dans nos
problèmes de personnes vivant avec des déficiences, plus question donc pour nous
de participer à la rédemption des péchés du monde. Cette chère D, de son côté, s’écrie à ce
sujet, sur un ton suraigüe et les baguettes en l’air, «mais c’est pas luiiii,
c’est pas luiiii», hi hi! Bon d’accord,
alors ce doit être le diable … Pourtant,
je surpris un de nos membres à Radisson, ayant suivi un genre de séminaire donné par mon ami le prêtre dans son presbytère,
à déclarer que Dieu l’avait créé avec son handicap pour s’assurer de son
obéissance. Donc, cherchons l’erreur!
Je
déduis de cette apparente contradiction qu’une religion aurait tendance à
succomber à la tentation de la tyrannie lorsqu’elle occupe une position dominante,
alors que quand elle perd une partie majeure de son pouvoir ou de son influence,
elle se ferait toute douce, avenante, ne parlant que d’amour, de pardon, de compassion
et ainsi de suite. Mais même dans ce
dernier cas, des discordances subsistent.
Il n’en reste pas moins que ce changement de discours en fonction de
l’évolution de la conjoncture me semble relever de la logique même, notamment
celle de la nature humaine.
Lorsqu’on met en évidence toutes ces contradictions et ces discordances,
en plus des aberrations (le célibat des religieux et des religieuses, l’ordination
réservée seulement aux hommes, et le reste) et des «dérapages» de l’Église au
cours des siècles et encore aujourd’hui (la destruction de la grande
bibliothèque d’Alexandrie par les premiers chrétiens fanatisés et autres
autodafés, les croisades, l’inquisition et ainsi de suite), le croyant sincère
rétorque que tout cela ne se rapporte qu’aux défauts des humains, et donc que
Dieu n’a rien à voir là-dedans. De même,
à propos du trouble ou de l’embarra que toute la question sexuelle cause à la
religion (au Christianisme à tout le moins), une bénévole très croyante du
milieu déclara ceci lors d’une conversation : «ce sont les humains qui ont
des problèmes avec le sexe, Dieu n’a pas de problème avec ça lui». Très facile à dire, mais à quoi cela sert-il
donc d’affirmer une telle chose? Sur le
plan strictement logique, rationnel, cognitif, cela n’avance à absolument rien,
surtout bien sûr dans l’hypothèse de la non-existence de Dieu. Mais sur le plan affectif, cela conforte le
croyant dans le fondement même de sa foi, soit l’existence même d’un Créateur,
son Créateur, absolument parfait en tout et qui l’aime lui personnellement de
son amour infini. Ainsi a-t-il recours à
ce fantasme affectif absolu pour assurer son équilibre psychique malgré toutes
les «imperfections humaines» de l’Église.
Maintien de l’équilibre psychique
et pulsion de vie
À propos du maintien de l’équilibre psychique, la croyance en la vie
éternelle par l’existence d’une âme immortelle que nous serions les seules
créatures à posséder y collabore très certainement car elle calme l’angoisse de
la mort. Mais d’où nous vient cette
angoisse? Je pense qu’elle plonge ses
racines encore plus profondément que dans cet instinct de conservation dont
tout animal est doté. Elle tiendrait en
fait d’une pulsion qui pousserait tout être vivant, du plus élémentaire au plus
évolué, du règne animal, végétal ou autre, à perpétuer son existence aussi
longtemps que possible par tous les moyens dont il dispose. Cette pulsion vitale, qui participe à la
nature même de la vie, la prolongerait éternellement si elle le pouvait. Aussi, elle prendrait des formes d’autant plus
sophistiquées qu’elle servirait des entités rendues à des stades avancés dans
le continuum évolutif du vivant. Ainsi
passerait-elle d’une impulsion primaire de sauvegarde de son intégrité chez les
protozoaires aux stratégies de survie et de prolifération des plantes, à la lutte
pour la survie des animaux, pour en arriver à la croyance en la vie éternelle
dans un au-delà immatériel considéré infiniment supérieur à l’univers visible
chez l’humain. Cette seconde grande
illusion vient donc compléter celle, identifiée par le biologiste Céril Baril,
de la croyance en l’existence de Dieu.
Les croyants considèrent aussi, et voilà leur argument ultime, qu’il
faut bien que l’univers soit apparu à un moment donné, qu’on appelle ce moment
Big Bang ou autrement, ce qui implique logiquement la présence éternelle d’un
Démiurge. Mais du point de vue de la
science, la nécessité d’un commencent de tout et donc de l’existence d’un
Créateur n’est vraiment pas évidente.
Nous savons grâce à Edwin Hobble que l’univers est en expansion depuis
le Big Bang survenu il y a près de quatorze milliards d’années. La question se pose donc à savoir s’il s’éteindra
graduellement comme les braises d’un feu qu’on disperserait à l’infini ou si, à
partir d’un certain moment et sous l’effet de sa propre force globale de
gravité, il entamera le mouvement inverse de contraction jusqu’à, au bout de
quelques milliards d’années, s’effondrer sur lui-même en un Big Crunch
immédiatement suivi d’un autre Big Bang amorçant un nouveau cycle pareil au
précédent. Albert Einstein émit ces deux
hypothèses en s’avouant incapable d’en identifier la bonne.
Or il se trouve que, advenant que la seconde hypothèse soit celle à
retenir, alors l’univers existerait de toute éternité et pour toute éternité en
une série infinie de Big Bang et de Big Crunch et plus rien ne justifierait
l’existence d’un Créateur, sauf évidemment cet immense besoin qu’éprouvent la
plupart des humains d’y croire. Le
sociologue Michel Foucault n’a-t-il pas écrit que Dieu existe bel et bien … dans
l’esprit des hommes puisqu’il y exerce depuis toujours un influence
déterminante. Autrement dit, Foucault
reconnaît un pouvoir très réel sur les individus et les sociétés à cet Être
Suprême qui en fait n’existe de tout temps que dans l’esprit des gens. Voilà peut-être pourquoi Dieu n’apparaît le
plus souvent qu’en rêve aux prophètes de l’Ancien Testament. Et nous tiendrions aussi sans doute la raison
pour laquelle les religieux exhortent les fidèles à chercher « la présence
toute discrète de Dieu » au plus profond d’eux-mêmes et d’y faire le
silence afin d’entendre sa parole. En
psychologie, on appelle cela de l’autosuggestion, un exercice mental très
efficace grâce auquel on peut se convaincre dur comme fer de la véracité de
tout ce à quoi on tient absolument à croire, incluant les invraisemblances
pourtant les plus flagrantes. Quoiqu’il
en soit, il faut bien comprendre que la croyance en Dieu n’a fondamentalement
rien à voir avec la raison tandis que l’adhésion à une religion particulière
relève surtout du souci identitaire, de l’habitude culturelle et du besoin d’appartenance. Pour la nième fois, c’est essentiellement l’affect
qui intervient ici.
La religion, tout comme la philosophie, comporte d’après moi deux
volets, soit l’un, que je qualifie d’éthique, qui nous apprend comment vivre en
harmonie avec soi-même et avec les autres, et l’autre, que je nomme
cosmologique, qui donc présente toute une conception du monde global, de ses
origines, de son organisation, de son fonctionnement et de sa destinée. En philosophie comme en religion, ces deux
volets sont intimement liés, de sorte que l’éthique de vie découle de et puise
sa justification dans une conception de la réalité globale. Or il va de soit que, dans le cas de la
religion, cette conception est pour ainsi dire préscientifique. Qui plus est, elle comporte une bonne part de
dogmes, de vérités révélées réputées immuables auxquelles il faut croire sous
peine de sanction divine. Du côté du
monothéisme, parmi ces dogmes, on compte ceux de la création du monde par un
Dieu d’amour qui le mit à la disposition des humains, de l’existence donc d’un
Créateur bienveillant qui n’agit que par amour, d’une lutte à finir entre le
Bien et le Mal à l’échelle cosmique, ainsi que celui d’une fin du monde où le Christ
reviendra pour juger les vivants et les morts.
Dans ce scénario qui englobe et résume l’histoire du monde du début à la
fin, chaque être humain choisit, en toute liberté, soit de prendre le parti du
Bien aux côtés de Dieu, soit de joindre le clan du Mal en participant aux
œuvres de Satan. Voilà donc toute une
conception du monde, une cosmologie cohérente dans sa logique propre. Sauf que ses prémices ne sont pas du tout confirmés
par ce que nous apprend la science sur les mêmes sujets, bien au contraire. Par exemple, ces monstrueux trous noirs
super-massifs qui aspirent et absorbent des mondes par milliards dans le cosmos
servent en même temps de centres de gravité et d’axes de rotation aux galaxies
dont les milliards d’étoiles qui les composent s’éparpilleraient autrement en
désordre dans l’infini, défaisant ainsi précocement l’organisation même de l’univers
avec les conséquences chaotiques qu’on peut à peine imaginer. Je dis précocement parce que, de toute façon,
cet univers finira soit dans le froid absolu du néant, soit dans la fournaise
toute aussi absolue d’un Big Crunch. Et
de telles fins du monde ne ressemblent pas du tout à cet organisme global parfaitement
unifié, cette Christosphère à intelligence unique que nous annonce le père Théyard-de-Chardin
comme aboutissement du processus d’organisation croissante de la matière qu’il
avait par ailleurs identifié.
Cette vision de l’univers mise de l’avant par l’astronomie actuelle (à
ne jamais confondre avec l’astrologie …) ne fait nulle mention d’un combat
constant entre le Bien et le Mal qui doit se conclure par la victoire finale du
premier sur le dernier afin que la volonté de Dieu « soit faite sur la
terre comme au ciel ». On y voit
plutôt à l’œuvre, comme déjà mentionné, des forces constructrices et des forces
destructrices qui se combinent et se complètent pour assurer le renouvellement
et le fonctionnement du tout. Et qu’on ne
vienne pas me dire que les textes sacrés sont truffés d’allégories (du genre
création du monde en sept jours, arche de Noé ou tour de Babel) et de paraboles
(comme celles du semeur, du bon grain et de l’ivraie ou du fils prodigue) qu’il
faut «lire entre les lignes» ou se les faire expliquer pour bien en saisir le
sens. Car il se trouve que des millions
et des millions de fidèles croyants de par le monde les prennent vraiment au
pied de la lettre. Et parmi ces croyants
on compte des chefs d’État et autres grands décideurs qui ne se gênent pas pour
exercer leur pouvoir sur les orientations de la recherche scientifique, comme
on peut le constater ici même au Canada.
Pour ma part, je considère suspect tout texte, sacré ou non, qui requiert
les compétences d’un exégète patenté pour être correctement interprété et je
préfère m’en tenir à ce principe énoncé par
Denis Diderot selon lequel « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et
les mots pour le dire arrivent aisément ».
Un univers programmé
Mais la plus grande désillusion qui pourrait peut-être, je pense, mettre
en péril la foi du croyant proviendrait de ce que nous apprend la physique des
particules à propos de l’univers quantique, soit l’envers caché en même temps
que le fondement même de toutes les réalités que nous percevons. Ce monde plus qu’étrange, qui semble obéir à
d’autres lois que celles de l’espace-temps, échappe totalement à notre
entendement qui lui ne peut opérer que dans le cadre de ces dites lois. Cependant, même si nous ne pouvons saisir la
logique profonde de la mécanique cantique, nous n’en arrivons pas moins à en
cerner par les mathématiques les implications pratiques pour les mettre à
profit. Ainsi serons-nous dans un avenir
pas si lointain, grâce à des recherches en cours, en mesure de mettre au point
ces fameux ordinateurs quantiques censés être au moins cent fois plus
puissants, pour le même volume, que les meilleurs ordinateurs actuels. Or parmi la quinzaine de propriétés
mathématiques inhérentes à cette mécanique, il s’en trouve une qui veut que
tout ce qui se produit dans l’univers, du tout début jusque à la fin de
celui-ci quelle qu’elle soit, s’inscrit dans un genre de matrice ou de
programme qui prévoit absolument tout même dans le plus infime détail.
Ceci inclut bien entendu absolument tous nos faits et gestes, ainsi que
la totalité de ce qui se passe dans notre tête, soit nos activités cognitives,
ainsi que nos sentiments, ressentiments, pressentiments, émotions, décisions,
croyances et tout le reste. Même notre
libre arbitre y serait inscrit. Le
journaliste scientifique de l’émission Les années lumière à la radio de Radio-Canada
qui diffusa cette information avoua ne pas trop vouloir s’y attarder, tellement
tout ce qu’elle implique est « extrêmement troublant ». À moi, qui en avais pourtant l’intuition
depuis longtemps, elle me glace le sang.
Antoine de Saint-Exupéry ne croyait pas si bien dire en affirmant que
« l’essentiel est invisible pour les yeux », sauf qu’il ne
l’entendait certainement pas de cette façon.
Les voilà donc ce « grand livre d’Allah » où « tout est
écrit », ces « desseins de Dieu » dits « impénétrables », la volonté de
Dieu concernant le salut éternel de chacun chez certains protestants. Si vraiment ce fut ce Dieu d’amour tant adulé
qui programma cette foutue matrice, alors le moins qu’on puisse dire, c’est
qu’il s’organisa pour jouer tout seul et aussi qu’il se fait une bien drôle de
conception de l’amour.
Un univers où le Bien et le Mal
se livrerait une lutte à finir
De plus, ces informations vont à l’encontre de cet enseignement de la
religion à l’effet que Dieu compte sur notre aide dans son combat pour la victoire
finale du Bien contre le Mal tant chez les humains qu’à l’échelle cosmique
(« que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel »), ce que
Théyard-de-Chardin appelait l’avènement de la Christosphère. D’abord cette distinction entre le bien et le
mal ne s’applique qu’à la conduite des affaires humaines, ainsi probablement
qu’à celles des équivalents des humains, en terme d’intelligence et de
conscience, dans d’autres mondes. La
morale qui en résulte est absolument nécessaire au maintien et au bon
fonctionnement des sociétés mais ne concerne en rien, comme nous venons de le
voir, la marche du cosmos dans sa globalité.
Puis à cette chère D qui me dit à propos de Dieu, avec toute l’emphase
émotionnelle qui la caractérise, que « c’est pas un dictateeeeuuuur », je déclare qu’effectivement, Dieu n’est pas un
dictateur mais bien plutôt un … programmeur; hi hi!
La non croyance et la recherche
de connaissances objectives
Lorsque je vivais en France au milieu des années 70 pour y faire mon
doctorat, un ami français très croyant m’expliqua que ce n’est pas du tout
« le Dieu horloger » qui l’intéresse mais uniquement « le Dieu
amour », ce à quoi je répondis qu’il restait bien libre de sublimer de la
sorte ses besoins affectifs. Il
n’empêche que cet homme souleva là un point fondamental, à savoir que la
croyance en Dieu relève essentiellement de l’affect et non de l’intellect. En outre, la plupart des gens doivent adhérer
à des croyances et même à des systèmes de croyances, religieuses et autres,
pour se rassurer, se structurer l’esprit, car autrement ils se sentent
désorientés, perdus, « tout mêlés ».
Et je crains fort que ce ne soit pas demain la veille qu’ils changeront
de paradigme dans leur mode de fonctionnement mental, même si, à mon avis, leur
lucidité par rapport à la réalité en prend alors pour son rhume. Un chroniqueur de Québec Science écrivit dans
un numéro de cette revue que la démarche scientifique comme moyen d’acquérir
des connaissances objectives nous est contre nature, si bien que nous devons nous
faire violence pour nous y soumettre. Elle
va en effet à l’encontre de notre tendance naturelle, qui origine de la nuit
des temps (voire plus haut La grande illusion de Céril Baril) consistant à
fonctionner mentalement surtout par croyances.
À propos de démarche scientifique justement, le français Émile Durkheim,
au dix-neuvième siècle, illustra magistralement cet atavisme dans son étude
intitulée Le Suicide, considérée l’ouvrage fondateur de la sociologie moderne
de par sa méthodologie. À la demande du gouvernement
français, il examina les statistiques nationales sur les variations du
phénomène du suicide selon différentes variables dont celle de la
religion. Il classa donc les trois
principales religions de l’époque en France par ordre de rigidité doctrinale
estimée en termes de degré d’exigence de la pratique. Ainsi découvrit-il que le taux de suicide le
moins élevé était celui des juifs, avec leur religion jugée la plus rigide,
alors que le taux le plus élevé se trouvait chez les protestants dont la
religion leur laissait le plus de latitude dans la pratique, les
catholiques se situant entre les deux
autres pour ce qui est du taux de suicide.
Durkheim tira donc de ce constat le concept d’anomie, lequel désigne le
manque où l’absence de normes, et donc aussi de croyances, qui structurent
l’esprit dans une société ou une collectivité donnée.
Même en cette époque-ci de baisse draconienne de la pratique religieuse
dans les pays riches, avec la plupart des églises désespérément vides sauf peut-être
aux États-Unis, le besoin d’un Dieu d’amour qui nous rendra à tous enfin
justice (« le Dieu amour ») ainsi que celui d’un Démiurge à l’origine
de tout (« le Dieu horloger ») demeurent et demeureront encore très
longtemps. N’étant plus par ailleurs contraints,
sous peine de marginalisation ou de stigmatisation, de pratiquer assidûment en assistant
aux cérémonies et en professant leur foi en l’ensemble des éléments de la
doctrine, certaines gens s’aménagent ce que j’appellerais une zone de confort
spirituel en sélectionnant tels ou tels de ces éléments selon leur convenance
personnelle.
Par exemple, le Dieu d’amour responsable de tout ce qui arrive de bien,
ça c’est bon, alors que le Diable qui est le Mal absolu, on doute de son
existence, et quant aux déclarations de Benoît XVI du cardinal Ouellette,
« c’est exagéré » comme dit si souvent cette chère D. Pourtant l’existence du Diable et son
influence sur nous, de même que les propos de Benoît XVI et du cardinal Ouellette,
s’insèrent parfaitement dans la doctrine chrétienne qui, ne l’oublions pas,
constitue un tout qui se tient dans sa logique à lui. Mais lorsqu’il s’agit de foi religieuse, au
diable la cohérence, l’honnêteté intellectuelle et la rigueur d’esprit n’est-pas! Ce qui compte alors avant tout est de se
sentir bien, en accord avec son éducation, son vécu, ses sensibilités et le
reste. Ou encore d’autres personnes
telle ma sœur, suivant la logique de l’appartement vide de meubles formulé par
Maurice Zundel (voire plus haut dans le texte), se disent simplement
« qu’il doit bien y avoir quelqu’un, quelque chose au dessus » et
s’en contentent, laissant de côté toute la mythologie (Eh oui, j’ose l’appeler ainsi!)
censée venir avec. S’agit-il donc de
quelqu’un ou de quelque chose, et au dessus de quoi au juste? Mystère!
Or moi je n’ai, il me semble, jamais pu fonctionner ainsi, en
choisissant dans un système de croyances seulement celles qui me conviennent
sur le plan affectif, et encore moins en laissant indéfiniment ouverte la
question la plus fondamentale de toutes tout en mettant au rancart tout ce qui
l’accompagne. J’aime trop la cohérence
pour cela, de même que « aller au fond des choses », comme disait le
général de Gaule. J’en connais qui me
reprocheraient mon effronterie de me croire au dessus de tout le monde, de
prétendre être plus lucide que la grande majorité des gens et de vouloir
toujours avoir raison. Ils me rappelleraient
aussi que, dans l’Histoire, de très grands penseurs étaient croyants (Mais en
avaient-ils le choix?) et que des scientifiques d’aujourd’hui se convertissent
parce que la science, considèrent-ils, n’explique pas tout.
Je réponds donc un par un à ces arguments. Je ne me préoccupe aucunement de me situer
au-dessus, en-dessous, à côté ou au milieu de tout le monde. Seul m’importe de cheminer à ma façon dans
mon développement personnel et mes efforts visant à toujours mieux comprendre
le monde dont je fais partie, en espérant que les autres fassent de même. Pour ce qui est de la lucidité, que chacun se
débrouille donc avec la sienne, j’en ai
déjà plein les bras avec la mienne.
Vouloir toujours avoir raison est une des attitudes les plus
antiscientifiques qui soient car «n’est scientifique que ce qui est
réfutable». Or la science avance
constamment, dans la mesure où on en lui laisse le loisir bien sûr, en se
corrigeant elle-même, en modifiant telle ou telle hypothèse ou théorie par
telle autre et même parfois en la remplaçant en fonction des derniers
développements. Les vérités absolues et
autres croyances, religieuses et autres, sont donc depuis toujours les pires obstacles
à l’avancement des connaissances.
Pensons seulement à la montée du créationnisme qui s’oppose farouchement
à l’évolutionnisme. Une vérité
scientifique n’en est donc une que jusqu'à nouvel ordre, ce qui peut
déstabiliser les esprits en mal de certitudes absolues. Aussi la science n’explique effectivement pas
tout et ne pourra jamais le faire vu l’infinitude de la réalité. Mais comme nous l’avons vu plus haut, elle
résout de plus en plus de mystères qui, de ce fait, échappent au domaine des
croyances et donc pour une bonne part de la religion qui elle se voit
graduellement confinée à un rôle de bouche trous explicatif. Ainsi ces savants qui se convertissent me
font-ils un peu penser à ces naufragés qui s’agrippent désespérément à l’épave
encore flottante du navire.
Mais que tous les croyants du monde se rassurent, leur chère épave
flottera encore très longtemps, aussi longtemps que la masse des humains conservera
son paradigme ancestral de fonctionnement mental, même sans que leur croyance en
Dieu ne s’accompagne de tout son falbala dont les variantes différencient les
religions les unes des autres. Ainsi l’essentiel
de l’ordre habituel des choses sera sauvegardé, finement, subtilement et efficacement
défendu selon la logique de «la capillarité de l’exercice du pouvoir» définie
par Michel Foucault. Cette logique consiste
en ce que le pouvoir dans une société s’exerce même à travers tout le très fin
réseau des relations interpersonnelles, réseau semblable à celui des vaisseaux
sanguins capillaires dans notre corps.
Et les acteurs de cet exercice visant à nous ramener dans le droit
chemin l’accomplissent le plus souvent inconsciemment, en toute innocence, avec
bienveillance et même parfois à grands renforts de taquineries. Mais certains tenants du pouvoir ne s’y
prennent pas aussi subtilement. Ce cher
cardinal Ouellette par exemple (Eh oui, encore lui!) déclara un jour à la télé
que « les savants sont des géants en connaissances mais des nains en
foi ».
Tout d’abord, voilà qui n’est pas très valorisant pour les personnes de
petite taille, comme la rectitude politique exige qu’on nomme maintenant ces
gens. D’ailleurs je suis persuadé qu’il
se trouve parmi eux des géants sous bien des aspects. Puis je ne prétends d’aucune façon être un
savant géant en connaissances, sachant fort bien que plus on en apprend, plus
on prend la mesure de son ignorance, ce qui invite plutôt à l’humilité. Mais, depuis déjà fort longtemps, je
m’applique le plus consciencieusement possible à devenir encore beaucoup plus
petit qu’un «nain» pour ce qui est de la foi religieuse. En fait je vise à devenir en cette matière une
amibe, une bactérie, un microbe, le plus primaire des protozoaires. De toute façon, de tels propos ne signifient
rien du tout pour moi, sinon que, comme bien d’autres du même genre dont les
religieux ont le secret, ils tendent à valoriser la croyance au détriment de la
raison. Et lorsqu’on déclare, comme le
fait Benoît VI, que «la raison est dangereuse», cela déclenche en moi l’alerte
rouge. «Bienheureux les simples en
esprit car le Royaume des Cieux est à eux.»
Pourquoi donc ai-je écrit ce
texte?
J’ai écrit le présent texte avant tout, je l’avoue ici en toute
franchise, pour sauvegarder mon équilibre mental à Radisson en m’y montrant
sous mon vrai jour. Non pas que j’y suis
malheureux, Radisson est un milieu fort sympathique où se déroulent des
activités intéressantes et même où on me fait parfois l’honneur de me confier
de grandes responsabilités, du genre président du conseil d’administration par
exemple. Mais assez souvent je m’y
trouve comme sur une autre planète, maintenant que je suis à la retraite de la
fonction publique québécoise où j’étais agent de recherche et ayant cessé de
donner des cours en relations industrielles à l’université. Dans mon milieu socioprofessionnel d’auparavant
composé principalement d’intellos et d’artistes, on ne peut pas dire que la foi
religieuse prédominait, qu’elle s’imposait comme soutien moral face aux vicissitudes
de l’existence. Ces gens là dont j’étais,
beaucoup plus choyés par la vie dans pratiquement tous les domaines, dont celui
de l’instruction, que ne le sont mes compagnes et compagnons actuels avaient
beaucoup moins qu’eux d’attentes affectives envers la religion. De plus, ils étaient intellectuellement
beaucoup mieux équipés pour partager une approche à prédominance cérébrale de
ces questions. Ainsi pouvions-nous en
discuter posément, avec détachement et sans constamment nous heurter à des réactions
passionnelles de défense. Alors qu’on se
mette un peu à ma place …
Serais-je donc passé des « superbes » aux « humbles »
pour employer le vocable de l’Évangile, ou à l’inverse des « nains »
aux « géants » comme dirait ce cher cardinal? Dans ce contexte et considérant que Radisson
me recruta en 2005 d’abord comme personne ressource bénévole pour les ateliers
éducatifs, je me fais fort de proposer aux membres participants, lorsque
l’occasion s’en présente, une façon essentiellement cérébrale et cognitive d’aborder
la religion et tout ce qu’elle touche, façon à laquelle ils ne sont certes pas
habituée. Après tout, un peu de superbe
ne leur ferait aucun mal et même que cela contribuerait à rehausser cette
estime de soi qui leur fait si cruellement défaut et que nous tentons de notre
mieux de les aider à acquérir.
Dans ce milieu qui se spécialise dans la problématique des adultes ayant
de lourdes et de très lourdes déficiences physiques, la plupart des
intervenants, qu’ils soient bénévoles, préposés, animateurs ou gestionnaires,
sont aussi de grands croyants, comme si la foi comptait parmi les principales
motivations à s’engager auprès de ces gens.
Mais il en va autrement des profs du CREP (le Centre de ressources
éducatives et pédagogiques de la CSDM) qui s’y trouvent et avec qui je
travaille. Après d’eux (ou plutôt elles)
je retrouve donc un peu mon ancien milieu.
Or lorsqu’il est question dans les ateliers des différentes civilisations,
on me laisse le soin de traiter des religions, sous tous leurs aspects, qui s’y
rattachent. Le phénomène religieux, on
l’aura compris, figure parmi mes sujets d’étude préférés. Un jour dans un atelier, un participant très
sévèrement atteint de paralysie cérébrale et ne pouvant parler se mit, en guise
de protestation, à crier comme un putois simplement parce que je venais de
mentionner qu’il y a cinq religions catholiques dans le monde, dont la romaine,
la plus importante des cinq il est vrai.
À la pause le prof, un homme (un des rare ayant passé à Radisson)
aujourd’hui à la retraite et qui se déclarait ouvertement athée, me dit à
propos du rapport des membres à la religion : « il ne faut pas leur
enlever ça, c’est tout ce qu’ils ont ».
Si tel est le cas, j’espère au moins que nous arrivons à les aider à
acquérir autre chose en plus.
Qu’on ne se méprenne pas à mon sujet.
J’apprécie l’art religieux sous toutes ses formes au plus haut point,
qu’il s’agisse d’architecture, d’ébénisterie, d’orfèvrerie, de sculpture, de
vitraux, de peinture, de musique incluant le chant, voire même d’art oratoire
parfois, et quoi d’autre encore. Je
reconnais volontiers que cet art représente depuis toujours un apport majeur
aux diverses civilisations dont la nôtre.
J’adore ces temples magnifiques que sont les vieilles églises, et même les
moins vieilles. Je goûte pleinement l’esprit
qui imprègne ces lieux, tout empreints de sérénité et invitant à la méditation (ou
à la prière, c’est selon …). De voir ces
trésors se détériorer parce que laissés à l’abandon ou destinés à devenir des
condos me crève le cœur. Aussi, qu’on
m’invite à une cérémonie, grand-messe ou autre, avec costumes et décors
superbes, musique d’orgue, chœur de chant et soliste, et j’y courre. L’Ave Maria de Schubert très bien chanté par
une belle voix et je craque. J’aime bien
aussi les homélies et les prêches intelligentes et bien senties de mon ami le
prêtre, même s’il y a un monde de différences entre sa vision de la réalité et
la mienne.
Bref, toutes ces choses me plongent dans une ambiance qui me transporte
au paradis, mais que je ne prends que pour une ambiance, ET RIEN QU’UNE
AMBIANCE. Et les religions n’ont pas
leur pareil pour créer des ambiances qui nous mettent dans de tels états d’âme. Or il n’est pas du tout dans mon genre de
laisser une ambiance, si « trippante » soit-elle, déterminer ma
conception et ma compréhension da la réalité.
Un soir au souper à la salle communautaire réfectoire de ma résidence où
habite aussi mon amie D, je demandai d’un ton badin à la directrice à quoi donc
sert la religion. Pout toute réponse,
cette chère dame me dit en riant « vous manquer toutes sortes de belles
choses monsieur Desjardins ». En
entendant cela, mon amie D se mit à ricaner du petit rire nerveux, presque
hystérique, de quelqu’un qui voit son persécuteur se faire régler son
compte. Or il se trouve que madame B est
pratiquement aussi non-croyante que moi et qu’elle sait pertinemment que
j’apprécie beaucoup toutes ces belles choses auxquelles elle fit allusion. Le lendemain en privé, je lui demandai
pourquoi diantre m’avait-elle dit une telle chose la veille. Et elle de me répondre que « c’était
pour vous sauver la peau monsieur Desjardins ». Je doute fort que ma peau fut un seul instant
en danger. Mais je considère que cette
réponse devant tout le monde à ma question facétieuse sur l’utilité de la
religion relève de ce que j’appelle le syndrome du cocon protecteur qui
caractérise ce milieu, cocon protecteur auquel monsieur et madame tout le monde
n’ont eux absolument pas droit. Est-ce
donc là cette fameuse insertion sociale des personnes handicapées dont se
targuent par ailleurs les intervenants de ce milieu? Me référant à mon vécu à moi d’insertion
socioprofessionnelle telle qu’on l’entend chez les personnes non-handicapées,
je trouve assez souvent qu’on fait un peu trop de cadeaux à « ces chers
petits ». Mais enfin …
L’identification des deux grands volets de la divinité, soit le Dieu horloger
et le Dieu amour, ainsi que les liens qui les unissent inextricablement
représentent pour moi l’essentiel du présent texte. Les croyants ont beau s’intéresser principalement,
voir même essentiellement au volet qui répond surtout à leurs besoins d’amour
et de justice, qui comble donc l’affect, les clercs les encourageant d’ailleurs
dans ce sens, il n’en reste pas moins que sa présence implique nécessairement
celle de l’autre volet, celui du Créateur, du Démiurge, de l’architecte de l’univers. N’est-il pas dit que Dieu créa toute chose
avec amour, et aussi ne dit-on pas « si Dieu le vent » lorsqu’on
souhaite que tel événement ou telle situation arrive et ne lui rend-on pas grâce
lorsque son souhait se réalise? Par une
superbe journée d’été lors d’une réunion d’un comité de notre milieu
associatif, durant la pause, une membre de ce comité, très croyante et ayant la
paralysie cérébrale, s’exclama en regardant dehors : « Moi
j’arrive pas à comprendre qu’on peut ne pas croire en Dieu avec une aussi belle
journée! Franchement ça me dépasse! ». je mourait alors d’envie de lui demander si
au lieu de cette superbe journée il faisait un temps affreux avec pluies
diluviennes, vents très violents, orages et même quelques tornades, cela
constituerait-il aussi une preuve de l’existence Dieu? Ou de sa colère peut-être, comme le croient
beaucoup plus de gens qu’on pense? Mais
redoutant l’émotivité explosive de cette femme, une bombe atomique comparée à
celle de mon amie D et c’est peu dire, je m’y reteins prudemment.
Ainsi l’écoute de la volonté de Dieu, voire même de ses humeurs, sans
oublier que ses desseins sont impénétrables (les créationnistes parlent même de
« dessein intelligent »), donc de tout ce qui baigne dans le mystère
et qui ne peut se comprendre par la raison, prédomine-elle sur la connaissance
objective par l’observation et l’analyse des phénomènes et l’émission d’hypothèses
vérifiables. Pour certaines gens à tout
le moins, notamment celles qui sont le plus affectivement attachées à la
croyance en Dieu, le croire importe beaucoup plus que le savoir, sans perdre de
vue que la pensée magique est plus naturelle aux humains que la pensée
scientifique de toute façon (voire plus haut).
Voilà comment on en arrive à des absurdités du genre attribuer à la
volonté de Dieu le beau temps qu’il fait ou tout autre phénomène agréable qui
puisse survenir. Quant aux événements
malheureux, aux catastrophes et autres calamités, ou bien on avoue face à eux
son incompréhension totale des intensions divines, ou bien on les attribue au
divin courroux provoqué par le péché. Or
quelle est donc la différence, fondamentalement, entre de telles attitudes de
nos contemporains et celles de nos ancêtres du paléolithique, dits hommes des
cavernes, confrontés aux énigmes du monde où ils évoluaient?
Et lorsqu’on ose se questionner ouvertement et systématiquement à propos
de tous ces points d’ombre, ces mystères dont certains sont dits de la foi,
ainsi que remettre en cause la véracité et la logique de cette façon de voir le
monde, on peut se voir alors taxé d’orgueil excessif pour ne pas admettre qu’on
ne peut tout comprendre et surtout pour ne pas reconnaître qu’il y a
« quelqu’un au dessus de soi ».
Mais qui donc peut-il bien être assez imbécile pour se figurer pouvoir
tout comprendre et croire que rien ni personne ne le surpasse? Bien évidemment qu’on ne pourra jamais tout
comprendre vu l’ampleur incommensurable de la réalité à découvrir. Même en mille ans et malgré des progrès
constants, la science n’en fera jamais le tour et la religion encore bien
moins, ce qui n’est d’ailleurs pas du tout le rôle de celle-ci. Puis qu’entend-on au juste par « au
dessus de »? S’il s’agit de toutes ces
choses et de tous ces êtres, sur cette planète et partout ailleurs dans le
cosmos, qui me surpassent en absolument tout, alors j’avoue bien humblement et
tout aussi lucidement ma totale insignifiance comme élément constitutif de cet
immense univers où je suis encore moins qu’un grain de poussière. Ma toute petite vie si courte tient à si peu
de choses et son importance est si minime sur le plan global! Des puissances dont pourtant je dépends
peuvent supprimer mon existence à tout instant et tant de mes semblables ont
tellement d’autorité sur moi que je n’ai vraiment pas de quoi pavoiser. Et surtout, je n’ai pas cette monstrueuse
prétention d’être à l’image et à la ressemblance de Dieu, moi, et donc je ne
m’arroge pas le droit de disposer de sa « création » comme bon me
semble sous prétexte qu’il me l’aurait confiée.
De taxer d’orgueil excessif ceux et celles qui, à la face de Dieu, lui
font l’affront de mordre dans « le fruit de l’arbre de la science, du bien
et du mal » en voulant tout bonnement aller sans crainte aucune au fond
des choses à propos de tous ces mystères et de tous ces non-sens s’inscrit, on
l’aura compris, parmi ces tactiques plus ou moins subtiles de culpabilisation
donc seule la religion a le secret. Voilà
donc un des pièges à éviter que nous tend la religion lorsqu’on entreprend de
se défaire de son emprise.
Pour terminer, j’annonce qu’il se pourrait que, si j’en ai la
possibilité, à la première personne qui me parle d’amour au sens religieux du
terme je colle dans toute la figure un beau gros bec baveux et dégoulinant à
souhait (OUACH!)!
Tourlou!