Président
Qu’est-ce donc que le Centre communautaire Radisson (CCR)? Il s’agit d’un genre de centre de jour (qui légalement ne peut se nommer ainsi) qui offre, dans un contexte de vie communautaire et d’éducation populaire, des activités éducatives, socioculturelles et de loisirs à des adultes ayant de sévères et même de très sévères déficiences physiques. Ces activités visent surtout l’insertion sociale de ces personnes en favorisant leur développement personnel ainsi que celui de leur conscience citoyenne. Deux professeurs formés en éducation spécialisée à l’emploi du Centre de Ressources pédagogiques et éducatives (CREP) de la Commission scolaire de Montréal (CSDM) y travaillent à plein temps durant l’année académique et une animatrice socioculturelle y œuvre toute l’année, en plus des stagiaires, des préposés et des bénévoles.
Or le comité des membres du CCR, animé sous l’ancienne administration par le directeur général lui-même et sous l’influence de celui-ci pour qui cet animal représentait la fidélité, avait à l’époque jeté son dévolu sur le chien comme animal symbole de l’organisme. La fidélité! Et pourquoi pas l’obéissance pendant qu’on y est? À vrai dire, en tant que personne handicapée membre actif du CCR, je trouvais plutôt dégradant et humiliant d’être représenté par un gentil toutou, de couleur brune de surcroît, qui fait la belle la queue en l’air (la queue arrière s’entend …). Par la suite, sous la nouvelle administration, toujours membre du comité en question animé cette fois-ci par un professeur du CREP, je fus élu administrateur au conseil d’administration (CA), puis nommé vice-président et finalement président. Je pus alors enfin cesser de ronger mon frein et, sous mon instigation il faut le dire, le comité entreprit de choisir un nouveau symbole.
Le choix du nouvel animal emblème ne se fit pas cependant en criant lapin. La décision finale se prit au terme de longs débats souvent très passionnés qui s’étalèrent sur plusieurs semaines, voir des mois. Certains membres se reconnaissaient parfaitement dans la symbolique du chien, alors que d’autres la remettaient en question tout en spécifiant ne rien vouloir d’agressif ou « d’enragé » pour la remplacer. Disons que l’esprit guerrier n’est pas vraiment du style de la plupart de ces gens, même s’il correspond au mien … Mais de voir ces personnes vivant avec de sévères déficiences physiques, si longtemps infantilisées et déresponsabilisées pour bon nombre, s’exprimer avec autant d’ardeur et de conviction, et même me prendre parfois à parti, me comblait de joie. J’étais au paradis! En fait, leurs échanges sur l’emblème animalier du CCR portaient au fond sur leur perception d’elles-mêmes et des personnes handicapées en général, d’où leur caractère si passionnel. Puis un bon jour, lors d’une de ces réunions, j’eus un flash et, au grand étonnement de tous, je proposai la chouette, en expliquant bien sûr la raison de cette suggestion.
Dans la Grèce antique, la chouette représentait la déesse Athéna, grande protectrice des sages, des philosophes, des savants et de la cité d’Athènes. La chouette symbolisait donc alors la sagesse, la pensée et la connaissance. Voilà qui cadre très bien dans la mission du CCR telle qu’ici définie. Mais alors attention, cette déesse n’hésitait pas à se battre farouchement si nécessaire pour défendre ses protégés, devenant alors Athéna la guerrière. D’ailleurs les personnes handicapées aussi doivent parfois se battre pour faire respecter leurs droits ou tout bonnement se faire respecter. Au cours du Moyen-âge et même longtemps après, la chouette et son cousin le hibou devinrent, dans la croyance populaire, des êtres maléfiques, des « oiseaux de malheur » dont la présence nocturne, trahie par leur hou houlement jugé inquiétant, était de mauvaise augure. Sur le plan purement objectif de toute façon, soit en dehors de tout symbolisme et de toute croyance, la chouette n’est quand-même qu’un oiseau de proie parmi d’autres, au même titre que le faucon, l’aigle et l’épervier.
Et tout ce côté dit sombre ou moins gentil de la chouette n’est pas pour me déplaire, bien au contraire! Car cette foutue tendance à « angéliser » les personnes handicapées m’exaspère d’une royale façon depuis déjà un sacré bout de temps! Est-ce bien là la bonne manière de s’y prendre pour faire comprendre à la société qu’elles sont « des gens comme tout le monde »? Non mais, du nerf bon sens, du caractère sacrebleu!
Ainsi les membres du CCR, réunis en comité, ont-ils participé au choix de la chouette comme emblème animalier de leur organisme. Bravo à eux pour leur persévérance et leur détermination!
mardi, 23 août 2011